lundi, février 20, 2006

Lettre à S. sur l’usage de la médiumnité

Ma chère S.

Je te l’accorde, découvrir son grand père assis au pied de son lit au réveil peut surprendre, surtout si le dit grand père est mort depuis deux ans. Mais les personnes qui vivent un jour ou l’autre ce genre d’expérience sont plus nombreux qu’on le croit. C’est même souvent à la suite d’un tel événement que les gens commencent à s’intéresser au monde occulte.

Pour la plupart d’entre eux, la rencontre n’a pas de suite. Ce n’est pas parce qu’on a vu, ou cru voir, l’esprit d’un défunt cher à son cœur que l’on devient médium. Certains cependant, comme toi, constatent ensuite qu’ils « voient » des choses ou « entendent » des messages ou encore « sentent » des courants d’air froid sans cause physique. Allan Kardec, qui fut le premier à mettre ses explorations du monde de l’au-delà par écrit, parle de « clairvoyance », « clairaudience », « clairsentience ».

On entre là dans le domaine de la croyance. Il faut en effet croire à une survie après la mort, à l’existence d’un « astral » qui nous entoure pour ne pas imputer ces sensations à une hallucination quelconque. Je sais que tu crois en ces choses, je prie simplement ceux qui refusent cette idée de ne pas poursuivre leur lecture.

De tes contacts avec les défunts, tu as voulu faire profiter les personnes que tu appréciais. C’était aussi pour toi une manière de tester l’existence supposée de ces entités et ta capacité à dialoguer avec elles. Des résultats positifs t’ont confortée dans ta prise de conscience de ton « don ». Tu as alors décidé d’en faire profession.

Ne te méprend pas, je ne suis pas de celles qui considèrent qu’un don ne doit pas être monnayé. Sinon aucun écrivain ne vendrait de livre, les plasticiens décoreraient gratuitement les murs de nos appartements et les musiciens s’exprimeraient dans les rues sans attendre la moindre piécette en retour. Je comprends très bien qu’on ait envie de faire de sa passion un vrai travail.

Toutefois je tiens à te mettre en garde : ce n’est pas parce que tu as pris conscience de ton talent dans la communication avec l’au-delà que tu peux t’improviser professionnelle du jour au lendemain. Tu me fais penser, dans ta hâte, à un jeune musicien à qui on aurait dit qu’il a l’oreille absolue et qui s’imaginerait pouvoir donner son premier concert après quelques essais en famille.

Comme n’importe quel autre métier, comme n’importe quelle autre activité même non rémunérée, la médiumnité se travaille. Faute de quoi les résultats que tu obtiendras seront aussi variables qu’une météo de printemps.

Il te faut tout d’abord apprendre à t’assurer de l’identité de l’entité qui te parle. Même à supposer qu’il ne s’agisse que de nos chers décédés, ils sont dans l’au-delà ce qu’ils étaient dans cette vie : certains aiment monter des canulars, d’autres ont tellement envie de contacts qu’ils sont prêts à raconter n’importe quoi pour être écoutés, d’autres encore se refusent à tout dialogue. Par ailleurs, ils ne sont pas forcément compétents par rapport à la question que tu leur poses. Souviens-toi de tes parents, grands-parents, arrière-grands-parents… Crois-tu qu’ils avaient la science infuse ? N’y avait-il pas des questions auxquelles ils n’étaient pas capables de répondre ? Auxquelles ils ne voulaient pas répondre ? Auxquelles leur cœur leur donnait une réponse et leur morale une autre ? Pourquoi cela serait-il différent maintenant ?

Il est ensuite préférable de recevoir les messages que de les demander. Beaucoup de défunts ont besoin de communiquer avec ceux qui leur sont chers pour des raisons qui leur sont très importantes. Ils se manifestent à toi, comme à d’autres, parce qu’ils savent que tu peux transmettre leurs messages. Si tu réponds à leur demande, tu peux aussi, lorsque tu as besoin de décompresser, ou simplement parce que ce n’est pas le moment, « couper » la communication. Si tu es demandeuse, en te faisant l’intermédiaire des vivants dans leur démarche vers les morts, tu seras moins respectée. De surcroît, les demandes futiles n’ont aucune utilité pour personne, vivant comme mort. Te servir de la communication avec l’au-delà pour dire à unetelle que son mari la trompe ou non ou à untel qu’il va ou non réussir son permis de conduire est d’une telle futilité que tu imagines bien quel genre d’esprit va être intéressé à te répondre…

Pour beaucoup de spirites, même après Kardec, la médiumnité devait être absolument consacrée à la plus haute spiritualité. Sans aller jusque là, n’oublie pas que la communication entre notre monde et l’au-delà est une chose rare et précieuse, comme de trouver quelqu’un avec un téléphone satellite au milieu du désert. Cette communication ne doit donc pas être gaspillée à raconter n’importe quoi à n’importe qui.

Pense aussi à la personne qui te consulte. Demande-toi si sa demande est sincère ou si elle vient pour s’amuser et voir le phénomène. Assure-toi qu’elle est suffisamment forte pour encaisser d’éventuelles révélations sans dommage psychologique. Il est facile à un esprit d’endosser le rôle d’un autre et de dire des choses très bouleversantes, mais fausses et dangereuses pour le consultant. Tu as eu durant tes tests quelques exemples de cela, heureusement avec des personnes habituées à côtoyer l’irrationnel et capables de faire la part des choses. Mais n’oublie pas que nous ne sommes pas tous prêts à recevoir même les messages authentiques.

Comme tu le vois, avant d’exercer la profession de médium, il est nécessaire de beaucoup apprendre, de beaucoup vivre et de beaucoup travailler.

Qu’en penses-tu ?